Les châtiés

 

 

L’ÉTOILE du matin s’évanouissait tout juste dans le ciel mauve lorsque l’énorme chariot de bois, bourré à craquer d’esclaves nus, franchissait lentement le pont-levis du château. De leur pas régulier, les chevaux de trait blancs s’engagèrent péniblement en direction de la route sinueuse, et les soldats poussèrent leurs montures plus près des hautes roues de bois du chariot pour mieux frapper, du claquement mat de leurs lanières de cuir, les jambes et les fesses nues de ces Princes et de ces Princesses, de ces esclaves en larmes.

Dans le désordre de leur émoi, les esclaves, les mains liées derrière la nuque, la bouche bridée, distendue par de petits mors de cuir, les seins lourds et les fesses rougies, frémissantes, se blottirent contre les planches rugueuses.

Gagnés par le désespoir, certains parmi eux jetaient un regard en arrière, vers les hautes tours du château encore plongé dans la pénombre. Mais là-bas, semblait-il, personne ne s’était réveillé pour entendre leurs cris. Et un millier d’esclaves dociles y dormaient, sur les lits de soie de la Salle des Esclaves ou dans les chambres somptueuses de leurs Maîtres et Maîtresses, tans se soucier de ces impénitents que l’on éloignait désormais, dans ce chariot brinquebalant bardé de hautes ridelles, en route pour la vente au village.

Lorsqu’il vit la Princesse Belle, l’esclave très chère du Prince Héritier de la Couronne, se presser vers cette grande silhouette à la musculature épaisse, celle du Prince Tristan, le Commandant de la patrouille eut un sourire. Elle avait été chargée dans le chariot en dernier, et, songea-t-il, quelle jolie esclave elle faisait, avec ses longs cheveux lisses et dorés qui lui retombaient jusqu’au bas du dos, sa petite bouche qui se tendait à toute force pour embrasser Tristan, malgré le mors de cuir qui la bridait. Comment Tristan l’indocile, se demandait le Commandant, avec ses mains fermement liées derrière la nuque, comme tous les autres esclaves en pénitence, pouvait-il, à cet instant même, la consoler.

Il disputait la chose en lui-même : devait-il faire cesser cette intimité illicite ? Pour prix de son impudence, il serait assez simple de tirer la Belle à l’écart du groupe et de lui écarter les jambes, en la faisant se courber par-dessus les ridelles du chariot, pour fesser à coups de ceinture son petit sexe désobéissant et gonflé. Peut-être fallait-il les faire descendre tous les deux, Tristan et la Belle, par terre, sur la route, pour les y fouetter à l’arrière du chariot, histoire de leur donner une bonne leçon.

Mais, en vérité, le Commandant se sentait un tantinet désolé pour ces esclaves condamnés, aussi gâtés fussent-ils, et même pour Tristan et la Belle, ces deux entêtés. D’ici à l’heure de midi, tous seraient vendus aux enchères, et ces longs mois d’été passés à servir au village leur apprendraient beaucoup.

Le Commandant chevauchait maintenant à la hauteur du chariot, et, de sa ceinture, il saisit une autre petite Princesse succulente, châtia les lèvres vermeilles de son pubis qui pointaient sous un nid de boucles noires, luisantes, et lorsqu’un Prince s’empressa galamment pour lui offrir un bouclier de ses membres longilignes, il joua de sa lanière de cuir plus fort encore.

De la noblesse jusque dans l’adversité, se dit le Commandant, en riant tout seul, et, quand il donna au Prince exactement ce qu’il méritait, il fut d’autant plus amusé d’apercevoir l’organe princier frémir et durcir.

Un lot bien dressé qu’on avait là, il devait l’admettre, avec ces jolies Princesses aux tétons érigés, aux visages écarlates, et ces Princes qui tentaient de dissimuler leur queue gonflée. Et, si désolé qu’il se sentît pour eux, le Commandant ne put s’empêcher de penser à la joie des villageois.

Toute l’année, les gens du village épargnaient leur argent en prévision de ce jour-là, où, moyennant quelques pièces, ils allaient s’acheter, pour toute la durée de l’été, un fringant esclave choisi pour servir à la Cour, entraîné et soigné pour la Cour, et qui allait devoir désormais obéir à la dernière des servantes de cuisine ou au dernier des garçons d’écurie, pourvu qu’ils aient suffisamment renchéri lors de la vente.

Et quel groupe appétissant ils formaient, cette fois-ci : les membres potelés encore tout parfumés de coûteuses essences, la toison pubienne encore peignée et huilée, comme si, au lieu d’un millier de villageois avides et concupiscents, c’était à la Reine en personne qu’ils allaient être présentés. Cordonniers, aubergistes, marchands, tous les attendaient, bien décidés à en avoir pour leur argent, à ce que cette dépense leur rapporte, certes, des mines charmantes et une abjecte humilité, mais, outre cela, des sujets rudes à la tâche.

Dans le chariot, les esclaves en proie aux lamentations étaient secoués, culbutés les uns contre les autres. Le château lointain n’était guère plus qu’une grande ombre grise contre le ciel qui s’éclairait peu à peu, et les vastes jardins d’agrément étaient désormais cachés par les murs élevés qui l’entouraient.

Le Commandant rapprocha sa monture du chariot, et, à la vue de ce taillis de mollets joliment dessinés et de pieds fortement cambrés, et de la demi-douzaine de splendides infortunés qui se pressaient à l’avant tout contre la ridelle, avec tous les autres massés contre eux dans le vain espoir d’échapper aux lanières de cuir des soldats, il sourit Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était de se tortiller sous cet assaut enjoué, ce qui ne faisait qu’exposer encore un peu plus leurs hanches, leurs derrières et leurs ventres nus à la morsure des ceintures, alors même qu’ils inclinaient leurs visages souillés de larmes.

Le spectacle était franchement savoureux, et, du fait qu’ils ne savaient pas vraiment ce qu’on leur réservait, il n’en était peut-être que plus captivant. Peu importait combien d’esclaves de la Cour avaient entendu parler du village : ils n’étaient jamais réellement préparés au choc qui les attendait S’ils avaient vraiment su de quoi il retournait, jamais, au grand jamais ils n’auraient risqué d’encourir le mécontentement de la Reine.

Le Commandant ne pouvait s’empêcher de penser à la fin de l’été, quand, une fois parfaitement assagis, la tête basse et la langue silencieuse, en signe de totale soumission, ces mêmes jeunes gens et ces mêmes jeunes femmes, qui, pour l’heure, ne cessaient de gémir et de se débattre seraient ramenés. Quel privilège ce serait alors de leur donner le fouet, à l’un après l’autre, pour qu’ils viennent écraser leurs lèvres contre la pantoufle de la Reine !

Allons, pour l’instant, laissons-les gémir, songea le Commandant. Laissons-les, en cette heure où le soleil se lève sur ces collines rondes et verdoyantes, se tordre et se contorsionner dans ce chariot qui descend pesamment et sans cesse plus vite la longue route vers le village. Et qu’on laisse la jolie petite Belle et ce jeune Tristan plein de majesté se serrer l’un contre l’autre au milieu de cette pagaille. Bientôt, ils sauraient à quoi ils s’étaient exposés.

Cette fois-ci, se dit le Commandant, il se pourrait bien qu’il reste assister à la vente, ou, tout au moins, assez longtemps pour voir la Belle et Tristan séparés et, comme ils le méritaient, hissés l’un après l’autre sur le banc des enchères pour y être bradés à leurs nouveaux propriétaires.

La Punition
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